
On m'a plusieurs fois fait la remarque suivante : vos hommes préhistoriques causent et se comportent comme des gentilshommes du moyen âge; ou encore : vos récits de quête sont semblables à des récits de chevalerie transposés au paléolithique. Rien de tout cela n'est tout à fait faux, et je vais vous dire pourquoi :

Il y a des âges, comme ça, où le cerveau est très impressionnable. A 10 ans, j'ai vu coup sur coup (ou en tous cas c'est ainsi que je m'en souviens) deux films qui ont marqué très profondément mon imaginaire et dont les fortes images et thématiques se sont amalgamées dans les replis de mon subconscient :
La Guerre du Feu (de JJ. Annaud) et
Excalibur (de J. Boorman). Films vus avec mes parents dans les mêmes conditions, au même cinéma du forum des halles que l'on atteignait en passant devant la grande fresque de Moretti sur l'évolution. Ne cherchez pas plus loin les raisons du fait que je mélange geste arthurienne et quête préhistorique : tout est là.
Bien sûr, j'en ai vu d'autres, des films, en 81. Mais ces deux là sont à mon avis des chefs-d'oeuvre d'une force hors du commun. Tous deux sont des oeuvres authentiques de re-création par un réalisateur (et leur scénariste et directeur photos et acteurs etc..) d'ouvrages très connus de notre fond culturel, et tous deux prennent de grandes libertés avec les textes originaux : Bien que l'on retrouve nombre des péripéties du roman dans le film la Guerre du feu, Annaud remanie l'histoire en lui donnant un tour neuf et moderne, malgré d'affreuses approximations scientifiques. De même pour Excalibur, Boorman synthétise nombre d'éléments des récits originaux à sa manière et il s'en trouve encore sans doute pour vociférer que d'avoir mélangé les personnages de Viviane et Morgane en une seule femme est une hérésie. Aaarh... Pour autant, ces deux films possèdent un souffle épique, un lyrisme, une originalité qui les rendent époustouflants. Il y a aussi des acteurs inspirés : Nigel Terry en Arthur ou Everett McGill en Naoh... Pensez que presque toutes les scènes dans la Guerre du Feu ont été saisies avec une seule prise, à cause de la précarité des maquillage et de la rudesse des sites de tournage (les marécages glacés d'Écosse par exemple) !
Alors voilà : je sais bien que le film la Guerre du Feu a aussi fait beaucoup de tort à l'image des hommes du paléolithique. Annaud lui même, dans les commentaires de l'édition collector du film, s'emmêle un peu les bobines en appelant "néandertaliens" non pas les Oulhamr (les héros) mais les Wagaboos ! (les hommes-singes velus qui viennent voler le feu au début du film). C'est incroyable parce que justement, les maquillages de Naoh, Nam et Gaw sont superbes pour en faire des néandertaliens. Allez comprendre...Après, il y a des effets pervers : engager un excellent chorégraphe pour apprendre aux comédiens à aller chercher le singe primitif au fond de leurs tripes aurait pu être une bonne idée... pour raconter l'épopée d'australopithèques. Dans la Guerre du feu, la gestuelle des héros à juste trois millions d'années de retard. Et pourtant... alchimie sublime, mélange confus des époques et des ancêtres, la sauce prend avec une fraîcheur et une intensité qu'on ne peut que souhaiter pour l'adaptation de Ao. Et cette sauce a laissé dans ma mémoire un souvenir indélébile. Avec des accents, donc, de chevalerie arthurienne, de lueurs vertes scintillant sur les armures et les fougères, et de volutes de brume enchantée.
C'est pour ça que j'ai fait un bond quand des chercheurs espagnols ont remonté des tréfonds de la
Sima de los Huesos un gros biface en quartzite rouge qu'ils ont dénommé "Excalibur". Je me suis dit alors que finalement, cette sauce où la science se mélange au merveilleux, où "l'homme sauvage" et le chevalier des récits médiévaux se fondent en une seule silhouette appelée ancêtre, création de notre imaginaire moderne sur l'humus de notre folklore, cette sauce avait manifestement bon goût pour beaucoup d'entre nous, y compris les scientifiques.
Je me souviens qu'il y a quelques mois, quand j'ai lu un article à propos de ce mystérieux biface "Excalibur", toute première offrande, peut-être, de notre histoire (en tous cas des heidelbergensis, les pré-neandertaliens), je me suis d'abord dit que j'étais fier d'être à 50% espagnol (forcément) et surtout, de nombreuses idées de récits ont bourgeonnées immédiatement dans mon esprit...